Susan, it’s an aubergine recipe

Nigel Slater venait de publier une recette d’aubergines. Sur Twitter, il se fait interpeller : « par quoi remplacer les aubergines ? ».

Il aura alors cette réponse merveilleuse : « Susan, it’s an aubergine recipe ».

(oui Nigel est très sassy sur Twitter, tout le monde se souvient de « I’m not a fucking travel agent » la fois où quelqu’un lui avait demandé un itinéraire de voyage au Japon et une liste de resto).

Mais au-delà du sass, la réaction de tous les food writers à cette répartie montre bien qu’elle a touché juste.

Créer et élaborer une recette, c’est beaucoup de boulot, d’essais et erreurs, de calibrage : pour tomber juste et pour que ce soit reproductible par d’autres dans leur cuisine.

Bien sûr, l’idée est de rendre la recette accessible, d’aplanir les obstacles et d’encourager les lectrices à la mettre à leur goût. Mais ça ne veut pas dire que n’importe quel ingrédient ou technique soit forcément interchangeables. Particulièrement l’ingrédient principal et/ou au sein d’une recette qui comporte peu d’ingrédients.

Et surtout, modifier un ingrédient ou une technique centrales : c’est créer une AUTRE recette, demandant testing, calibrage et beaucoup de boulot. C’est juste autre chose et pas ce que tu as élaboré.

Alors bien sûr qu’en tant que lectrice/expérimentatrice, tu peux tout modifier, remplacer les aubergines par des courgettes si ça te chante. Mais ça n’est pas la même chose que de demander à cellui qui a créé la recette une AUTRE recette, comme si elles étaient des simples variations.

Remplacer de la coriandre par du persil plat, des amandes par des noisettes, c’est une variation. Supprimer les oeufs d’un gâteau, c’est une autre recette. Libre aux lectrices de tester et de trouver ça bon, mais ça n’est PLUS la même recette.

En tant que créatrice de recettes, j’essaie souvent d’indiquer des substitutions. D’ingrédients, parce que je sais que tout n’est pas accessible à tout le monde n’importe où ou à n’importe quel prix et que je ne veux pas que ça soit un frein. De techniques, pour celleux qui n’ont pas un matos spécifique, si j’ai testé moi-même les alternatives.

Mais j’indique toujours que le résultat sera différent et éventuellement décevant si c’est le cas (remplacer des cuisses de poulet par des blancs, par exemple). Ce qui ne veut pas dire que ça ne sera pas bon : ça ne sera juste plus la recette que j’ai créée et/ou testée.

Et à force de substitutions, parfois ce qui fait le cœur d’une recette se perd. Ce qui à la fois n’est pas important si le résultat te plaît. Mais qui peut dénaturer, vider une recette de ce qu’elle a à offrir. C’est particulièrement délicat pour les recettes issues d’autres cultures que la cuisine occidentale, qui se retrouvent blanchies, dans tous les sens du terme.

Remplacer du sumac par du paprika ou supprimer le sumac modifie profondément les recettes du Moyen-Orient. Il n’y a pas de vrai équivalent. On peut bricoler avec du zeste de citron, ça sera bon, mais ça sera différent.

Alors en tant que testeuse dans ta cuisine, tu fais bien ce que tu veux et y a toutes les chances que le résultat te plaise ou soit intéressant. Mais on ne peut pas demander aux créatrices de recettes qui ont investi pour développer une certaine façon de cuisiner un plat ou une pâtisserie de valider n’importe quelle transformation de ce qui a été testé par leurs soins.

Je me suis fait engueuler y a peu sur Twitter quand on m’a demandé si tel gâteau à moi pouvait se faire sans oeufs. J’avais juste répondu non. Est-ce que tu peux le faire sans oeufs avec de la compote à la place en diminuant le sucre de moitié, virant le beurre et en changeant la préparation de la pâte? Bien sûr. Est-ce que ça te plaira ? Peut-être bien (c’était visiblement le cas pour la personne qui m’interpelait). Est-ce que c’est encore ma recette dont je peux me porter garante ? Non. Si je développe une recette vegan, elle est pensée pour et testée.

Donc chacun sa part : toi tu fais à ta manière, tu t’inspires, tu crées ta sauce ; moi je fournis une référence pour tes expérimentations, proches ou lointaines, nées de ce que j’ai écrit.

Et ça fera du #OwiOwi.

8 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Guillaume Benoit dit :

    Bah, et du coup y a pas de recettes 🙁
    Moi qui m’attendais à un super plat d’aubergine dont tu as le secret 😉
    Bientôt, j’espère !!

    1. OwiOwi dit :

      Hé hé!

  2. RAPHAELLE dit :

    Zut alors ! Moi aussi j’attendais la chute avec une recette d’aubergines delamorkitu. Je ne me suis toujours pas remise de ‘Les Aubergines Rôties aux Oignons Frits et au Citron de Ottolenghi’… Tiens, d’ailleurs j’ai des aubergines à la maison, je vais me consoler avec cette recette.
    Belle mise au point dans cet article. Oui, on peut tout changer, après tout on est libre, mais alors, ce n’est plus la recette originale, et alors faut pas se plaindre que ce soit bof ou banal ou inintéressant

    1. OwiOwi dit :

      Merci 🙂

  3. Auda dit :

    Super punchline et super article.
    Je ne suis qu’une lectrice testeuse mais je suis quand même choquée par ce type de demande aka #MarmitonSyndrome
    Mais bon…
    Très intéressant aussi d’aborder les changements d’ingrédients d’un point de vue geo-politique si je puis dire.
    Tout est politique, l’intime et les épices … et pour ce qui est des épices c’est grâce à toi que mon regard évolue.
    Merci Owi !

    1. OwiOwi dit :

      Merci à toi 💓

  4. Mère Geek dit :

    Ah m’enfin, qu’il faille en faire un billet et une mise au point m’étonnera toujours.
    Hugs et merci pour toutes tes recettes.

    1. OwiOwi dit :

      Merci à toi !

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