Amateur

On m’a demandé récemment si on pouvait me présenter comme une boulangère amatrice.

Sur le moment, j’étais décontenancée. Et cette question a continué de me piquer.

Amateur est un mot poupée russe : plus je déballe, moins j’ai envie de répondre oui.

C’est d’abord un constat : je pratique la boulange sur mon temps libre et je n’ai pas de formation professionnelle dans ce domaine. Oui.

Innocemment, ça a pose d’emblée la différence amateur/ professionnel. Mais là, dans les plis, se niche toute la question de la légitimité des « amateurs ». Car, dans notre société, poser cette différence renvoie à une hiérarchie. Le pro est posé en modèle auquel aspirer, c’est le symbole du savoir et du savoir-faire. Laisse faire les professionnels, merde, comme on dit.

Et puis les amateurs, ce sont ceux qui ne sont pas reconnus. Ils n’ont pas le diplôme. Ils peuvent pas se mesurer. Quelle bande d’amateurs, merde.

Il n’y a rien d’innocent, au mot amateur.

Les anglo-saxons semblent contourner le problème. En bouffe il y a les Chefs, ceux qui cuisinent dans un cadre professionnel, qui manient le couteau comme un yakuza et ont leur show sur Netflix et puis y a les homecook, celles qui cuisinent chez elles dans un cadre familial. La hiérarchie est évidemment toujours là.

Au point où Nigella revendique régulièrement de n’avoir aucune expertise à manier un couteau, POUR se revendiquer homecook. Elle met d’ailleurs cette non expertise en évidence lors de ses shows. C’est sa manière de nous dire : fear not, on est entre nous ici.

Ça n’est pas une coquetterie de sa part. C’est sa manière de prendre le pouvoir. De dire haut et fort qu’elle ne se bat pas sur le terrain des pros. Chacun son terrain, chacun son univers. Et de couper l’herbe sous le pied de ceux qui jugent.

Cet examen permanent de l’expertise de chacun nous empêche de voir et de fêter ce qui compte vraiment : les compétences à réaliser ce qu’on recherche, que ce soit en contexte pro ou chez soi.

Récemment sur Twitter, une personne pestait à la lecture d’un article sur le thème « faire son pain soi-même » : « boulanger, c’est un métier !! ». Un internaute lui a répondu que certains y prenaient beaucoup de plaisir et faisaient du bon pain, photos de ses très belles miches à l’appui. « Oui, ils peuvent bien jouer », cingla l’apôtre du laisser faire les pros.

Et, jouer, voilà un programme qui me plaît. Jouer, quelle merveilleuse ambition.

Car l’amatrice, contrairement au pro, jou-it d’une liberté et d’une créativité sans pareil. Elle peut changer de recette de pain à chaque fois ou refaire 100 fois la même. Elle peut réussir, rater, recommencer, et être toujours contente de manger son pain, qui n’aura jamais la même tête. Elle peut bidouiller des trucs pour affûter ses stratégies et ses outils. Elle peut tracer son chemin à son rythme et toujours apprendre.

Ce jeu, c’est celui que je cherche à instiller grâce à #OwiOwi. En boulange mais tout autant en salé et en pâtisserie. Pourquoi s’en défendre ? Revendiquons-le ! Car c’est aussi lui qui nous permet de nous (ré) approprier autrement ce travail de « mettre le pain sur la table », tous les jours. Ce travail invisibilisé, nié, regardé de très haut, et pour cause, c’est essentiellement le travail des femmes : celui qui est attendu et non payé.

C’est aussi ce sens du jeu qui peut nous permettre de surmonter nos peurs de rater. Faire taire la petite voix qui dit : ça n’est pas pour toi. Celle qui te traite d’amateur.

Car oui, boulanger c’est un métier. Et moi je suis là pour jouer.

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