Docu-Série Comment naissent les Livres de Cuisine, ep. 2 : développer et tester les recettes (avec la participation de Aurélie Starckman, Directrice du Département Pratique d’Albin Michel et des testeuses du Gâteau dont tu es le Héros)

Des nouvelles d’abord !

Je serai en rencontre-dédicace pour le Gâteau dont tu es le Héros :

* A la Librairie Gourmande de Paris, rue Montmartre 92, à Paris II, le 22 octobre de 16h à 18h

* A Cook & Book à Bruxelles, place du Temps Libre 1, à Woluwe Saint Lambert, le 29 octobre de 17h à 19h

Venez, ça va être chouette 🙂

Où en était-on? Ah oui, tu as eu une belle idée, tu as soumis le concept et le pitch à une ou plusieurs maisons d’édition, avec l’aide (ou pas) d’une agente littéraire. Tu as trouvé chaussure à ton pied, hourra !

Mais qu’est-ce qui guide une maison d’édition vers un projet plutôt qu’un autre ?

Aurélie Starckman, Directrice du Département Pratique chez Albin Michel, nous en parle :

1. Quelle est pour vous la meilleure description de votre travail et de votre spécificité dans la création d’un livre ? Quelle place occupez-vous au sein du processus de publication ?

Une rencontre, une idée, une envie commune, un travail d’équipe, la naissance d’un livre et sa présentation aux lecteurs.

Je choisis ou initie les projets que l’on publie. Puis avec les équipes éditoriale, de fabrication, marketing, commerciale… nous travaillons sur le projet pour que celui-ci voie le jour, qu’il soit réussi et que le livre rencontre les lecteurs.

2. De votre place à vous, quel est le challenge particulier posé par la création d’un livre de cuisine ?

Proposer des livres qui donnent envie de cuisiner et qui soient un peu différents de ce qui existe déjà, que ce soit par le sujet, la forme, le ton… (il y en a déjà beaucoup !)

Pour cet ouvrage Le gâteau dont tu es le héros, il fallait que l’on retrouve, dans le livre, le ton et le style inimitable de Owi Owi et que le lecteur ou la lectrice se rende compte de l’incroyable gourmandise des gâteaux grâce aux photos !

3. Comment choisissez-vous vos projets de livres de cuisine ? Qu’est-ce qui vous donne envie de vous y investir ?

Quand je lis un manuscrit ou que je rencontre un ou une passionnée qui me parle de ses recettes et que cela me donne envie de goûter le plat, c’est gagné 😉 ! L’originalité du concept compte aussi ainsi que la personnalité de l’auteur ou autrice. Sentir que la personne a envie de transmettre sa passion !

4. Qu’est-ce qui vous fait sentir vraiment heureuse d’un livre de cuisine sur lequel vous avez travaillé ?

Quand l’auteur ou l’autrice est contente de son livre et que les retours des lecteurs sont positifs : ils ont cuisiné, ils ont aimé, ils ont partagé… et ont vécu de bons moments !

Reste encore à négocier le contrat (et ça peut prendre encore plusieurs mois le temps qu’il arrive) : il ne te reste plus qu’à écrire le livre (haha). D’ailleurs non, tu as une date de remise du manuscrit fixée dans ton contrat, fini de rigoler.

Évidemment, à travers tout cet enchaînement d’événements chargés en adrénaline et en remises en question, tu as continué d’y penser, à ton bouquin. Tu as déjà commencé à développer et tester des recettes. Bon, ta tête n’y est pas encore complètement, car peut-être que tout ça n’est qu’une caméra cachée, ON NE SAIT PAS. Quand même, signer ton contrat rendra tout ça beaucoup plus réel.

Après la signature du contrat, j’ai été rencontrer à Paris l’équipe avec qui j’allais travailler : Aurélie Starckman, qui avait misé sur moi, et Eulalie Chantreux, l’éditrice avec qui j’allais faire équipe pour mener le projet à bien. Des décisions importantes ont été prises lors de cette réunion quant au type de livre que je souhaitais créer, j’y reviendrai dans un prochain billet. Mais, aujourd’hui, mettons d’abord le nez dans la cuisine : comment naissent les recettes d’un livre de cuisine ?

Alors, avertissement, je ne prétends pas ici parler pour tout le monde. Certaines autrices s’y retrouveront, d’autres non. D’autant que le Gâteau dont tu es le Héros est un projet très personnel. Je parlerais autrement de la création d’un livre de collection par exemple : livres de commande en général, les livres de collection ne sont que peu perso, tant dans la voix de l’auteur, que dans le choix du traitement et du visuel. Je laisserai celles et ceux qui en ont l’expérience directe en parler mieux que moi.

Les recettes, tu y as déjà pensé en détails, puisque ton projet soumis aux maisons d’édition comporte un sommaire. Ce sommaire va évoluer, parfois radicalement, mais c’est ton point de départ. Et ces recettes et leur organisation doivent toutes être au service du concept du livre : elles doivent faire sens, faire vivre ce que tu as envie de transmettre et de partager. Elles peuvent aussi avoir un rôle didactique.

Le Gâteau dont tu es le Héros est né avec la recette du Tout-terrain, le fameux cake qui avait fait germer l’idée d’une recette de base et de ses déclinaisons. J’allais inventer toute une série d’autres recettes à décliner sur le même principe. En été 2021, alors que mon projet était encore évalué par différentes maisons d’édition, la priorité était de développer et de tester mon Frutti-Frutti, le gâteau très fruité, tant qu’il y avait des fruits d’été disponibles. Le reste pouvait attendre.

Il est important de distinguer les différentes étapes de création d’une recette : le développement de la recette, ou sa mise au point, puis son testing ou mise à l’épreuve et enfin son écriture (dont je parlerai en détails une prochaine fois). Et, dans le cas d’un livre, clarifier la place d’une recette parmi l’ensemble des thèmes et recettes choisies.

Parlons d’abord du développement des recettes.

Certaines personnes créent dans leur cuisine, d’autres devant un carnet. Moi je regarde dans le vide dans mon canapé. En pâtisserie, on part quasi toujours de ce qui existe déjà, car tout y est une question de dosage (d’ingrédients, d’assemblage, de cuisson). Petite modification par petite modification, un nouveau gâteau nait. Sauf que peut-être quelqu’un autre a eu l’idée avant toi, donc tu vérifies pour être sûre : en pâtisserie, même sans le vouloir, les grands esprits se rencontrent, c’est inévitable, car les possibilités ne sont pas infinies. En fait, à part si on revolutionne une technique, peu de véritables créations sont possibles. Ça sera surtout ta touche personnelle (ta façon d’assembler les ingrédients et de décrire les étapes de la recette, par exemple) qui fera la différence avec d’autres recettes.

La contrainte que je m’étais posée pour ce livre était de rendre les recettes les plus accessibles possibles : pas de techniques complexes, pas de matos spécial (sauf les moules évidemment), pas de compétences nécessaires. Tout débutant, enfant (encadré selon l’âge) ou personne ne disposant que de peu de ressources (dans tous les sens du terme) devait pouvoir réaliser les recettes facilement et avec plaisir.

Tous les gâteaux devaient pouvoir être réalisés avec la méthode de la flemme « versons les ingrédients secs dans les ingrédients humides ». Donc tous les gâteaux devaient fonctionner avec du beurre fondu ou de l’huile. La bonne nouvelle, c’est que les contraintes, tous les créateurs et créatrices le savent bien, c’est très stimulant !

Donc, 1ère étape, dans le cas du Gâteau dont tu es le Héros : mettre sur papier des recettes qui respectent tous ces challenges et qui permettent ensuite d’être modifiées à l’infini, selon tes envies et ce que tu as sous la main.
Les recette de base à créer devaient donc être neutres, génériques, prête à jouer à la marelle ou à Zelda. Leurs déclinaisons étaient des interprétations, des mélodies, des ambiances, une façon de montrer tout ce dont les recettes étaient capables. De mettre en lumière ce qu’on pouvait y modifier et aussi ce qui devait resté inchangé pour fonctionner.

Cette phase de développement, c’est donc moi dans mon canapé, regardant dans le vide, avec un rubix-cube en tête, qui tourne, qui tourne, jusqu’à ce que ça fasse BINGO. C’est imaginer les textures en fonction des dosages, de la méthode, du moule et de la cuisson. Les complexifier ou les accentuer, les arrondir. Combiner les arômes, contraster les saveurs. Tout imaginer, tout expérimenter, dans ma tête, et donc dans ma bouche, alors que je n’ai pas encore mis un pied en cuisine. Et puis, le faire pour de vrai, réaliser parfois en voyant une quantité, que c’est trop ou trop peu, avoir une autre idée, modifier les proportions, ajouter le p’tit truc qui fait la différence. Noter pour ne rien oublier.

Goûter, faire goûter. Valider ou recommencer. Et les gâteaux devaient faire plus que fonctionner, ils devaient allumer une petite lumière dans les yeux de celles et ceux qui les goûtaient. Il y a bien sûr eu des échecs, de nombreux essais (notamment pour les versions sans oeufs), mais la majorité de mon travail consistait surtout à repérer les gâteaux uniques, ceux qui brillaient de mille feux. Ma hantise du moment ? Choper le covid et perdre le goût. Heureusement, je suis passée entre les gouttes.

Quand une idée a pris forme et qu’elle est validée, on arrive à la phase du testing.

Ta recette, elle ne doit pas fonctionner une fois, chez toi, dans certaines conditions. Elle doit fonctionner partout, tout le temps, chez tout le monde. Pour ça, tu recommences encore et encore, pour bien spécifier les repères nécessaires à la réussite de la recette. L’idée est de rendre les lecteurs les plus autonomes possibles et, pour ça, ils et elles ont besoin d’informations utiles et de savoir précisément où se situe la plaine de jeu et où commence la zone où on pénètre à ses risques et périls.

C’est là que les testeuses entrent dans la danse. Des personnes qui ne connaissent pas la recette, qui vont la tester ailleurs, avec des ingrédients légèrement différents, d’autres marques, dans des moules qui ne sont pas les tiens et dans un four qui chauffe autrement. Elles pourront te dire si les instructions sont claires, si elles rencontrent des problèmes et si le résultat correspond au tien. C’est vraiment un gage de fiabilité incontournable. C’est une relation de travail et de confiance qui se tisse, c’est très précieux. Elles sont aussi là pour discuter des recettes et te soutenir. Et tu en as besoin, laisse-moi te le dire.

C’est l’occasion de les mettre à l’honneur dans cet épisode ! Leur interview est en fin de billet. Oui moi aussi j’ai une OTK (Owi Test Kitchen, laissez-moi je ris toute seule).

Concrètement, de mon côté, ça a donné des journées assez intenses, avec une part de développement, une part de testing et une part d’écriture. Et beaucoup de gâteaux à goûter, à plusieurs reprises au fil du temps, pour évaluer leur évolution et conservation. Soyons claires : tu en as ras le cucul de bouffer du gâteau avant d’avoir terminé le bouquin. On me demande souvent combien de kilos on prend lors d’une telle aventure. Je crois qu’on imagine que je vais manger beaucoup de gâteaux, ce qui est à la fois vrai et pas vrai du tout. Pour tenir le coup, je coupais des tout petits morceaux : pour goûter un gâteau, pas besoin d’en manger beaucoup. D’ailleurs, tu n’as plus du tout envie de gâteau, donc c’est pas compliqué. A un moment, tu as même plus envie de sucré, c’est dire : l’ampleur d’un projet qui te fait bouffer du gâteau pendant 9 mois, même quand tu n’as pas envie, ça finit par avoir des conséquences (c’est passé, je te rassure). Mais ça aide aussi à repérer les gâteaux qui sont tellement bons qu’un petit bout ne suffit pas !

Le testing a été d’autant plus étendu qu’il fallait que je teste toutes les substitutions possibles et toutes les versions (et versions de versions) proposées. Contrairement à un livre classique avec des instructions restrictives qui ne demande que de tester ce qui est prescrit, là il fallait que je m’assure que TOUT fonctionne. Aussi en version vegan et /ou sans gluten, quand c’était possible, et c’était un gros boulot. En clair : j’ai cru que j’aurais jamais fini et je me suis demandé pourquoi j’avais eu cette sombre idée…
#Picoler

Bref, je préparais et goûtais parfois 5 gâteaux par jour et, au milieu de tout ce bouzin, j’avais plus beaucoup d’énergie pour me faire à manger (ou comment je me suis nourrie de marmites de chilli et de fricotis tout l’hiver). J’avais besoin de simples plats à réchauffer et de saveurs salées et amères pour couper avec le sucré. Puis je me retrouvais avec 2000 gâteaux entamés à distribuer (ça aide d’avoir des Moufletos dans ce cas-là).

Tout au long de ce processus sans fin de multiplication de gâteaux, tu affines sans cesse tes choix, en retravaillant le sommaire et la structure, bougeant et rebougeant les pièces de lego jusqu’à ce que ça s’équilibre, que ça tienne debout et que ça ait de la gueule.

Tu élimines les redites, tu combles les manques, tu repères les recettes qui sont des outils idéaux pour transmettre un bout de toi, une histoire, une technique, une astuce.

Au début, tu n’as aucune visibilité, t’as le nez dessus. Tout est plic ploc, éparpillé et solitaire. Mais un livre de cuisine est un livre : il existe pour raconter une histoire, à travers et au fur et à mesure de ses recettes. C’est cet arc narratif que tu dois trouver : on écrit un livre de cuisine parce que on a quelque chose à dire. Sinon y a assez de recettes en liberté sur internet, pas besoin d’en rajouter.

Un cookbook n’est pas qu’une succession de recettes : elles doivent tricoter ensemble, créer une vie plus large, plus pleine. Et pour ça, tu dois penser à toutes celles et ceux à qui ton livre s’adresse : en parallèle des recettes, c’était l’intro qui s’écrivait, les choses qui me tenaient à cœur, celles qui me faisaient rire et toutes les cartes que je voulais glisser dans les mains des lecteurs et lectrices.

Comment on sait quand on a fini ? Quand tu as barré toute ta liste à tester mais surtout quand tout se tient, quand le tout est supérieur à l’addition de ses éléments. Et tu n’attends pas d’avoir fini le testing pour écrire mais ça, ça sera pour un prochain épisode !

Écoutons maintenant Hélène et Mireille, les testeuses qui ont travaillé d’arrache-pied pour le livre et à qui je dois beaucoup.

1. Quelle est pour toi la meilleure description de ton rôle de testeuse pour le Gâteau dont tu es le Héros ? Comment tu t’y es pris ?

Hélène : fouiller mes placards, baver devant les recettes et rendre service, tout en nourrissant mes enfants (et moi un peu aussi) ! J’ai choisi des recettes consensuelles et aussi des recettes qui ne plaisaient qu’à moi, parce qu’on n’a pas toujours envie de partager ! Ensuite, j’ai vérifié si j’avais les ingrédients (spoiler oui et comme les recettes sont flexibles c’est encore plus facile !) et je me suis lancée.

Mireille : pour moi, ce rôle devait répondre à deux objectifs :

* Je ne suis pas une experte en cuisine ou pâtisserie. J’ai donc suivi les recettes à la lettre et ai fourni mes retours de mon mieux : les questions que je me posais (rares), quelques photos, mon retour sur le résultat final en termes de goût et d’aspect. Je suis française vivant à Brooklyn et suis entourée de personnes avec leur propre culture culinaire et des goûts potentiellement différents des miens. J’ai trouvé intéressant de communiquer les retours de mon mari jamaïcain ou de mes voisins américano-coréens (je ne leur donnais jamais mon avis avant de collecter le leur).

* Te permettre de couvrir les recettes que tu avais besoin de valider. Tu me demandais beaucoup ce que je souhaitais tester, je te répondais invariablement ‘que veux-tu que je teste ?’

2. Quel challenge était-ce de tester des recettes en développement ?

Hélène : Je fais pas mal de pâtisserie. Je sais que les recettes Owi Owi sont toujours claires donc ma plus grande crainte c’était que le résultat final ne me plaise pas, ou que ça ne marche pas parce que j’aurais fait la substitution de trop. Je vous rassure, tout a très bien fonctionné. Il fallait aussi penser à noter certaines observations sur la cuisson par exemple (mon four chauffe très fort), la texture, la conservation. Des choses auxquelles on ne pense pas forcément quand on pâtisse. Créer des recettes ça ne s’improvise pas !

Mireille : Au début de l’aventure, je craignais de ne pas être à la hauteur, de ne pas fournir les retours attendus. L’impression de ne pas être légitime (qui suis-je pour juger qu’une recette est parfaite ou doit être retravaillée ?). Dans les rares cas où j’ai trouvé qu’un résultat n’était pas aussi bien que ce à quoi je m’attendais, j’ai craint de te blesser en te le disant – mais je l’ai fait, sinon pourquoi tester ? J’ai été vite plus à l’aise, tu sais très bien ce que tu peux attendre de tes testeuses et quoi faire de leurs retours.

3. Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer là-dedans ?

Hélène : J’aime faire des gâteaux, mais je n’ai pas toujours beaucoup de temps devant moi et je ne suis pas du tout pâtisserie de précision. Là j’avais l’occasion de découvrir de nouvelles recettes Owi Owi, de varier un peu les goûters et de participer à un chouette projet.

Mireille : l’envie de t’aider et de participer à un projet forcément très chouette.

4. Qu’est-ce que tu en as retiré ? As-tu envie de renouveler/approfondir l’expérience si tu en as l’occasion ?

Hélène : Des kilos en plus 😅
En vrai pas du tout, j’ai pris plaisir à tester des recettes (et à manger les gâteaux), j’ai bien ri, c’étaient de bons moments et je recommence quand tu veux !

Mireille : j’ai adoré et recommence demain si tu me le demandes.
Combien de fois ai-je fait une pause dans ma journée de travail à la maison pour préparer un gâteau ? Ces moments ont été des parenthèses tellement bienvenues qui ont adouci le quotidien. Et qu’est-ce qu’on a mangé comme gâteaux formidables !

(les photos du billet sont celles que j’ai prises pendant le développement des recettes)

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