Docu Série « Comment naissent les Livres de Cuisine », ep. 3 : le travail éditorial qui tricote entre écriture, maquette, photos et design (avec la participation de Eulalie Chantreux, éditrice chez Albin Michel, et Laure Faucon, directrice artistique et graphiste)

Nous voilà de retour pour le dernier épisode de notre docu série et des coulisses du Gâteau dont tu es le Héros!

Les épisodes précédents sont ici : intro, épisode 1, épisode 2.

J’en profite pour rappeler que je serai samedi 29 octobre chez Cook & Book à Bruxelles (Woluwe) pour une rencontre-dédicace, de 17h à 19h.


On pourrait croire que le plus dur est fait quand tu as créé et testé toutes tes recettes. Et non.

Comme j’en parlais la dernière fois, pour moi en tous cas, un livre de cuisine n’est pas qu’une collection de recettes. Et développer des recettes n’écrit pas un livre. Bien sûr, il existe toutes sortes d’approches de cette question : certain.e.s auteur.e.s n’ont besoin que d’une introduction concise et n’écrivent pas d’avant-propos à leurs recettes. Puis, y a moi, qui dois me limiter pour ne pas écrire un roman.

Donc, oui, parfois, le gros du boulot est fait. De mon côté, j’ai bien eu un sentiment d’accomplissement mais très passager : je voulais m’investir dans tout le processus. L’écriture, je l’ai menée de front avec le développement des recettes. Une chose que j’ai apprise des centaines de billets écrits pour le site (et qui est partagée par nombre d’autres auteur.e.s) : si je n’écris pas tout de suite mes ressentis après la création ou le testing d’une recette, je ne suis plus contact avec la vibe qui s’en dégage.

Les lignes et les couleurs s’estompent, tout ce qui en fait une expérience sensorielle et excitante s’évapore. Et ça devient alors beaucoup plus compliqué de le partager. Donc, en général, j’écris les intros des recettes le lendemain du testing, quand tout est encore lumineux et vibrant.

L’introduction générale, elle, s’est écrite par petit bout, chaque fois que je me disais « ah oui, ça aussi il FAUT que j’en parle ». Ou qu’un truc rigolo me passait par la tête.

Mais il y a aussi l’écriture des recettes elles-mêmes : trouver la manière la plus claire, évidente et personnelle d’expliquer comment s’y prendre. Tout organiser pour que la recette coule de source, sans confusion ni perte de temps. C’est peut-être le plus difficile. Et vu le nombre de discussions que des auteur.e.s peuvent avoir sur le sujet, ça l’est sûrement.

Mais voilà, c’est fait : tout est mis sur papier et remis à l’éditrice. Quel va être son rôle, rôle qui a commencé bien en amont de la remise du manuscrit ? C’est le moment de passer la parole à Eulalie Chantreux, éditrice chez Albin Michel, qui a travaillé sur Le Gâteau dont tu es le Héros de bout en bout et dans les moindres recoins!

Eulalie : « Je décris souvent mon travail comme «le chef d’orchestre du livre» : j’ai un manuscrit (ou parfois même juste une idée de livre) entre les mains et je dois mettre tout en place, coordonner tous les talents, pour que cela se transforme en un livre en librairie.

Le processus diffère selon les auteurs, nous sommes là pour les accompagner au mieux. En tant que responsable d’édition, j’aide l’auteur à accoucher de ce qu’il a en lui. Parfois, l’auteur a besoin d’échanger lors de l’écriture ou avant, pour déterminer un plan, la meilleure façon de dire les choses, le ton à utiliser… D’autres fois, comme ça a été le cas avec Owi, l’auteur préfère écrire le manuscrit de son côté et le travailler ensuite.

Une fois le manuscrit rendu, j’effectue une relecture critique : je traque les incohérences, les imprécisions, je questionne des passages, je suggère des coupes, je propose des reformulations, parfois des réorganisations pour que les étapes de préparation s’enchaînent le plus naturellement possible, sans temps de latence ».

Est-ce que vraiment alors, à la remise du manuscrit cette fois, le plus dur est fait pour l’auteur.e ? Ça dépend.

Certain.e.s auteur.e.s remettent leur manuscrit, attendent les révisions à faire après lecture par l’éditeur et délèguent le reste. Pour moi, qui adore les cookbooks, il était évident que je voulais m’impliquer dans la création du livre lui-même : je voulais un livre qui me ressemble et qui résonne avec les lecteurs de #OwiOwi. Le gris triste et chic qu’on voit partout, c’était pas pour moi. Idem, les mises en scène avec plein d’accessoires et petite serviette. Ou celles avec rien, arides, sur marbre blanc. Je voulais ce que moi j’aime dans un livre de cuisine : un visuel qui dégage une énergie, une personnalité, une urgence à passer en cuisine.

Dès la réunion avec l’équipe d’Albin Michel, tous ces choix avaient été discutés : un papier d’impression qui mette à l’honneur les textures et matières des différentes déclinaisons de gâteaux, un format pratique et solide, une identité visuelle qui détonne. De là, 1000 décisions ont été prises tout au long du processus.

Eulalie : « en accord avec les souhaits de l’auteur, je briefe le photographe et le styliste culinaire, c’est lui qui va effectuer le plat et le mettre en scène pour le shooting : est-ce que l’on veut une ambiance chaleureuse avec des nappes en coton, de la vaisselle ancienne, ou au contraire un simple plan de travail pour une photo épurée centrée sur le plat ?

Viennent également les interrogations sur la fabrication : une couverture souple et un petit format pratique ? Ou une couverture rigide et un grand format pour en faire la star de la cuisine ? Toutes les réponses à ces questions vont constituer l’identité du livre. Tout cela est discuté avec l’auteur, mais je donne des recommandations.

Nous lançons des essais de maquette avec un directeur artistique ».

Grâce aux réunions avec Laure Faucon, la directrice artistique du Gâteau dont tu es le Héros, j’avais déjà pu affiner avec Eulalie ce que nous attendions du livre et être sûre que tous les choix visuels seraient bien au service de ces objectifs.

Laure : « je suis directrice artistique et graphiste. Je m’occupe du « storytelling » graphique des livres afin que chaque titre ait un univers visuel qui lui soit propre et qui corresponde à l’auteur.e ainsi qu’au positionnement marketing souhaitée par la maison d’édition.
Pour cela, je travaille en étroite collaboration avec l’éditeur.e et parfois avec l’auteur.e si l’éditeur.e le souhaite.

Dans un livre de cuisine, l’univers visuel a plusieurs aspects :
* les photos des recettes : pour cela je briefe la styliste/photographe culinaire (choix du style de vaisselle, cadrage des photos, teinte et matière des supports et arrière-plan…)
* la mise en page : choix typographiques, code couleur, agencement des textes et des images
* la fabrication : proposition des options de fabrication qui peuvent mettre en avant la couverture (découpe, embossage, vernis, encre Pantone…).

Le challenge?

Laure : créer un lien visuel particulier entre le public et le livre, qui reflète au mieux le contenu de l’auteur.e.

Pendant ce temps, l’éditrice continue de jongler avec plein d’assiettes bien remplies.

Eulalie : « lorsque le manuscrit a été retravaillé par l’auteur après mes questions, je le prépare à la mise en maquette : corrections orthographiques, grammaticales, syntaxiques, typographiques.

Je réfléchis au livre page par page (Quelle recette illustrer ? Quel ordre dans les recettes ? Est-ce que ce petit texte ne serait pas plus pertinent en encadré ?) et je réalise un chemin de fer : une espèce de schéma du livre qui indique page par page, ou groupe de pages par groupe de pages, ce qu’il va contenir. Ce chemin de fer est utile pour le graphiste, le photographe et pour moi. J’assiste au lancement du shooting photo, pour m’assurer que le livre aura bien l’identité visuelle décidée en amont ».

J’ai eu la chance de pouvoir expérimenter le style et la composition des photos directement avec toute l’équipe : Eulalie, mais aussi Laure et Sandra Mahut, la photographe et styliste culinaire qui nous a accueilli dans son studio photo.

A ce moment, il était devenu clair que plusieurs recettes devraient cohabiter sur la même page (sous peine sinon de devoir en supprimer) et cette contrainte a influencé profondément l’organisation et l’esthétique du livre. En terme de maquette, pour que chaque recette soit claire et lisible. Mais aussi dans la composition des photos : lors de cette journée-test est née l’idée de photo bi-goût, pour représenter 2 gâteaux sur la même photo, avec gusto. Nous allions jouer sur les fonds, les couleurs, les matières, les textures, les lignes, les contrastes et les ombres pour mettre chaque gâteau en scène. Un livre, fun et ludique à utiliser, devait tout autant être fun et ludique à feuilleter.

C’était un choix de ma part d’être présente lors du shooting photo et d’y participer activement, côté créatif. Un tout grand merci à Aurélie, Eulalie, Laure et Sandra de m’avoir toutes soutenue dans cette entreprise ! J’y ai beaucoup appris. Nous avons également eu la chance de bénéficier de l’aide d’Émilie, pâtissière, pour réaliser les gâteaux, ce qui nous a permis de nous concentrer au maximum sur les photos.

Laure : « l’éditeur.e joue un rôle primordial dans le projet car il fait le lien avec l’auteur.e, la maison d’édition et l’équipe créative. Il est donc important que notre relation soit fluide et qu’on se fasse confiance mutuellement. La dimension humaine tient une part très importante dans ce travail, j’aime que chaque membre de l’équipe soit investi et apporte une part de créativité.

Le graal ?

Laure : j’aime sentir une synergie d’équipe sur un projet. Ce moment où une idée fait réagir tout le monde et où on se dit « c’est ça le concept ! ». D’un seul coup, tout devient une évidence, en stylisme, en graphisme, en marketing ! Quand le fond et la forme se rejoignent, et qu’auteur.e, éditeur.e, photographe et moi sommes alignés, là c’est LE moment qui me fait vibrer ».

La manière de procéder est propre à chaque livre. Souvent, les photos sont complètement déléguées au photographe, qui travaille seul.e avec les lignes directrices qui lui ont été données. Il est finalement rare que l’auteur.e soit là lors du shooting, même si il ou elle a son mot à dire concernant le choix du photographe. L’intérêt d’être sur place (ou joignable) est de directement repérer si le résultat s’éloigne trop de ce qui est décrit dans la recette.

La directrice artistique, elle, veille à ce que les choix posés restent cohérents avec le projet du livre. Par exemple, notre ligne directrice, était d’utiliser le moins possible de vaisselle et d’accessoires, même si c’était parfois tentant.

I mean :

Commence ensuite la mise au point de la maquette et, en parallèle, continuent les multiples révisions du texte, de fond comme de forme. Et le choix des photos. Puis il faut tout mettre en musique.

Eulalie : « le graphiste met en page le texte et les photos : il produit alors les premières épreuves. C’est une première version du livre, que je relis attentivement. A ce stade, il faut régler tous les petits problèmes rencontrés lors du montage : une recette trop longue, une exception à une règle décidée, etc. Je l’envoie ensuite en relecture-correction auprès d’une professionnelle (eh oui, c’est souvent une femme) qui traque les dernières fautes, et en parallèle à l’auteur (note de Owi : ce sont les correctrices qui assurent ce travail). Je m’assure que toutes les corrections sont bien intégrées et puis je relis, relis, relis… ».

Et, enfin, le livre est presque prêt à être créé.

Eulalie : « quand tout est au point, il est temps d’envoyer au service de fabrication, qui va s’occuper de produire des cromalins : c’est une sortie des photos sur le papier qui sera utilisé pour le livre : on contrôle ainsi les couleurs, déterminons les petites retouches à effectuer.

Et puis, c’est bon, on donne le BAT (bon à titrer) : le livre peut partir en impression. Il est alors temps de se pencher sur les stratégies marketing et presse pour assurer au livre une belle sortie ! ».

A travers tout le processus, se pose en filigranes la question de ce qui différencie ce livre de tous les autres.

Eulalie : « il y a des centaines de livres de cuisine qui sortent tous les ans. Le challenge est donc : comment faire pour que CE livre sorte du lot ? Il faut ainsi capitaliser sur les qualités et les originalités du projet, les mettre en valeur.

Publier de nouveau un simple livre de recettes comme on en voit déjà par centaines dans les rayons ? Aucun intérêt ! Publier le livre d’une autrice qui écrit des recettes avec un ton décalé et léger, très original, au service d’un concept novateur reposant sur des déclinaisons ? OUI !!! ».

Une dernière question : qu’est-ce qui vous fait sentir vraiment heureuse d’un livre de cuisine sur lequel vous avez travaillé ?

Eulalie : « l’idée que ce livre de cuisine aide les personnes à créer un bon moment ; car quoi de plus convivial et agréable qu’un bon repas, un bon goûter ?

C’est ce qui m’anime au quotidien lorsque je travaille sur les textes et les images des livres de cuisine que j’édite : comment rendre ce moment de préparation le plus simple et agréable possible, afin de déboucher sur un bon moment en famille ou entre amis ?
Il y a tout de même un inconvénient dans mon travail… J’ai tout le temps faim ! ».


Un grand merci à Eulalie Chantreux, éditrice chez Albin Michel, et Laure Faucon, directrice artistique et graphiste, pour leur participation à ce Docu Série.

Les photos du shooting et du livre sont de Sandra Mahut. Celle du testing des recettes sont de moi.

7 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Fervellasverzas dit :

    J’aime trop que tu aies envie de nous partager des petites portions des coulisses de l’écriture du Gâteau dont on est toutes des héroïnes !! Merci owiiiiiiiiiii

    1. OwiOwi dit :

      Hé hé 💓💓🙌

  2. Comment résister et ne pas s’offrir ce livre qui me met d’ores et déjà l’eau à la bouche ?!

    1. OwiOwi dit :

      💓💓💓!

  3. LadyG dit :

    Merci pour ce partage, c’est très intéressant !
    J’ai acheté ton livre et ai testé le cookie cake. On s’est régalé !
    Je vais acheter plusieurs exemplaires et les offrir pour noël.
    En parlant de ton bouquin autour de moi, mes ami·e·s salé·e·s m’ont dit « ce serait génial un tel livre version salée ! »
    Genre des plats complets qu’on (re)ferait en fonction de ce que l’on a dans les placards et le frigo, mais tout de même avec une base.
    Qu’en penses-tu ?

    1. OwiOwi dit :

      💓💓 Génial!! Pour la version salée, c’est sur la table, faudra voir si Albin Michel commande une saison 2 🙂

      1. LadyG dit :

        Excellente nouvelle !!! Vivement la saison 2 ☺

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